A la suite d’une récente visite dans le pays, Alistair Smith, coordinateur international de Banana Link, et Agathe Caublot, chargée de projet, rendent compte d’une initiative visant à lutter contre les bas salaires dans l’industrie bananière ivoirienne, notamment à travers des ateliers de formation pour les représentants syndicaux des travailleurs des plantations afin de les équiper pour un engagement efficace dans le dialogue social.
Environ 15 000 travailleurs permanents sont actuellement employés dans les plantations de bananes de Côte d’Ivoire. Le pays est devenu le premier exportateur africain de bananes dessert, écoulant la grande majorité de sa production d’exportation en Europe, notamment en France.
Cela fait maintenant plusieurs années que les syndicats du secteur ont alerté Banana Link et l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA) sur les salaires excessivement bas perçus par de nombreux hommes et femmes travaillant dans les plantations et dans les entrepôts de conditionnement d’un pays qui connaît encore une expansion importante de la banane.
Les travailleurs ont également exprimé leur inquiétude quant au fait que les femmes ne sont pas payées de la même manière que les hommes. Comme l’a dit une travailleuse lors des ateliers de formation pour les délégués et les dirigeants syndicaux de la semaine dernière : « Lorsque j’ai commencé à travailler pour l’entreprise il y a dix ans, les hommes étaient payés 900 CFA par jour alors que les femmes n’en recevaient que 750. »
L’un des facteurs expliquant la faiblesse des salaires est le salaire minimum agricole (SMAG). Le Code du travail de la Côte d’Ivoire prévoit que le SMAG doit être révisé tous les trois ans, mais la dernière et unique augmentation au cours des deux dernières décennies a eu lieu en 2013, lorsqu’il a été élevé à seulement 36 000 CFA par mois. Ce niveau actuel représente un peu plus d’un tiers de la valeur de référence du Salaire vital d’Anker pour 2020 et à peine 60 % du salaire minimum de tous les autres secteurs de l’économie.
Un projet multi-acteurs est né
À l’initiative de Banana Link et de l’un des principaux acheteurs du pays, un programme visant à préparer le secteur à évoluer vers une rémunération décente pour tous a été conçu et présenté à l’initiative pour le commerce durable (l’IDH) pour obtenir son soutien. Le programme, cofinancé par cinq enseignes de la grande distribution d’Europe continentale et britanniques (Tesco, Carrefour, Lidl France, Morrisons, Marks & Spencer), a été lancé ce mois-ci.
Le programme comprend des ateliers de renforcement des capacités syndicales pour les représentants des travailleurs de toutes les principales entreprises bananières de Côte d’Ivoire, suivis d’un processus de collecte de données sur les salaires et les indemnités actuels, mené par un institut de recherche indépendant, le CIRES, basé à Abidjan, dans au moins trois des principales entreprises exportatrices. Les données, ventilées par catégorie et par sexe des travailleurs, seront présentées aux syndicats pour vérification et validation. Les données convenues serviront ensuite de base commune pour la négociation collective en vue d’une rémunération décente.
Les enseignes de la grande distribution qui soutiennent le projet ont accepté le principe de la responsabilité partagée. Ils participeront à l’atelier final, début 2023, au cours duquel les écarts salariaux seront présentés par les entreprises et les syndicats. Sur la base de ces chiffres vérifiés, les acheteurs s’engageront à couvrir les écarts par le biais du prix payé pour les fruits qu’ils achètent. Un grand distributeur s’est déjà engagé publiquement à couvrir les écarts salariaux en proportion de ses achats, et d’autres devraient suivre.
Formation des syndicats au dialogue de bonne foi et à la négociation collective
Quarante représentants syndicaux, hommes et femmes, issus d’une douzaine de syndicats de cinq entreprises ont participé à deux ateliers de formation de trois jours dirigés par Guillaume Tossa, expert basé au Bénin, et Banana Link en novembre 2021. Le premier atelier, intitulé « La responsabilité des différents acteurs du secteur de la banane face à la problématique de la rémunération décente » , organisé par la plateforme syndicale de la SCB, a souligné l’approche multi-acteurs concertée impliquant les syndicats et les entreprises bananières ainsi que les acheteurs de la grande distribution en Europe.
L’importance d’un dialogue social de bonne foi est essentielle pour une négociation collective efficace, tout comme le fait de disposer de données validées que les travailleurs et leurs employeurs peuvent présenter aux acheteurs pour démontrer les écarts entre la rémunération actuelle et la valeur de référence produite par le réseau Anker Research. Un sujet clé qui a été abordé tout au long des ateliers de formation et des discussions avec les entreprises est celui de l’importance d’avoir des plateformes syndicales bien organisées et formées à la négociation collective productive, avec une compréhension claire des droits et responsabilités des travailleurs, plutôt qu’une pluralité de petits syndicats mal organisés et instables. Des techniques pour des pratiques de négociation responsables, ainsi que le concept de responsabilité partagée et l’importance de la participation des femmes à la négociation, sont quelques-uns des thèmes qui ont été abordés lors des sessions interactives.
Les travailleuses ont un rôle clé à jouer
Le deuxième atelier était destiné aux femmes travailleuses et dirigeantes et s’intitulait « La femme travailleuse et la rémunération décente dans un contexte de disparités sociales. ». Plusieurs femmes avaient également pris part au premier atelier et ont pu soutenir l’animation de la deuxième série d’activités de formation. Couvrant des thèmes et des activités similaires à ceux du premier atelier, les participantes se sont engagées à partager les apprentissages à leur retour sur leur lieu de travail et à travailler avec leurs collègues masculins dans le processus de sensibilisation de l’ensemble de la main-d’œuvre au processus en cours.
Pour environ la moitié des travailleurs participants, c’était la première fois qu’ils avaient l’occasion de s’absenter de leur travail pour suivre une formation. En plus d’avoir été reconnaissantes à leurs employeurs de leur avoir accordé un congé pour cette activité, les commentaires formulés lors de la session d’évaluation finale soulignent le besoin vital d’autonomisation (empowerment) par la formation si l’on veut que le processus vers une rémunération décente réussisse :
« En tant que femmes, nous trouvons notre voix ; nous avons un rôle à jouer dans les discussions avec les autres et dans la formation de nos collègues. Les femmes sont fortes. »
“Au départ, je ne savais rien de mes droits et responsabilités. Vous nous avez aidées à avoir confiance en nous même. J’ai commencé à marcher !“
Banana Link estime que les entreprises bananières de Côte d’Ivoire ont fait preuve d’un réel courage en soutenant l’approche du dialogue et de la négociation. Nous réitérons l’appel lancé le mois dernier à toutes les enseignes de la grande distribution pour qu’ils suivent l’exemple donné par Tesco et veillent à ce que l’écart salarial entre la rémunération réelle et un niveau permettant une vie décente pour les travailleurs et leurs ménages (ou ‘foyer’, si tu préfères) soit couvert par les prix qu’ils paient pour les fruits.
Alistair Smith & Agathe Caublot
Le 23 novembre 2021
Photos: Kouadio Kan Bernadin