Appel à accepter la responsabilité partagée
La consommation de banane ne cesse de progresser en France, devenant en 2024 le fruit le plus consommé, alors que les prix de détail s’inscrivent également à la hausse. Dans ce contexte, les acheteurs de la grande distribution française ont mis une pression jamais observée auparavant afin d’obtenir des prix d’achat anormalement bas auprès de leurs fournisseurs.
Entre 2022 et 2024, les enseignes françaises sont passées d’une position de partenaire compréhensif des producteurs de banane à celle de plus grosse entrave à leur revenu. Les négociations commerciales pour les contrats d’approvisionnement de banane 2025 ont été les plus longues de l’histoire, précisément parce que les distributeurs français souhaitaient obtenir des prix encore plus bas qu’en 2024.
Alors que des investissements sociaux, environnementaux et autres très significatifs sont effectués pour le ‘’maintien et la durabilité’’ de la filière de production bananière, à l’appel même de la grande distribution européenne, ces efforts vertueux sont ignorés et mis en danger par l’attitude hors norme des grands acheteurs français lors des négociations commerciales.
Dans sept pays du Nord de l’Europe, des engagements publics ont été pris pour que tous ceux et celles qui travaillent dans les plantations de banane en Afrique, aux Caraïbes et en Amérique latine puissent gagner un salaire vital et digne. Une quarantaine d’enseignes de la grande distribution alimentaire se sont ainsi distinguées dans cet engagement. Mais en France, pour l’instant, ce n’est pas le sujet.
Cette aspiration à la baisse arrive à un moment de l’histoire où les producteurs et les travailleurs de nombreux pays exportateurs de banane se sont mis d’accord pour négocier une rémunération vitale pour tous les employés du secteur.
Le premier pays fournisseur de bananes vendues en France en est un exemple parlant : en Côte d’Ivoire, toutes les entreprises productrices et tous les syndicats de travailleurs se sont engagés publiquement en septembre 2024 à négocier la première convention collective nationale d’ici 2026, afin de créer le cadre juridique et les conditions favorables à l’augmentation des salaires à un niveau qui permet à chacun de couvrir les coûts basiques de la vie.
Alistair Smith, coordinateur international de l’ONG Banana Link, explique : « Il existe des exceptions à la tendance parmi les grandes enseignes présentes sur le marché français, mais ce ne sont pas des enseignes d’obédience française. A titre d’exemple, une enseigne française majeure a contribué aux efforts en Côte d’Ivoire pour préparer le secteur à des négociations pour un salaire vital. Mais lors des négociations commerciales pour 2025, cette même enseigne ne voit même pas en quoi son comportement d’achat en France est en dissonance avec la démarche en Afrique qu’elle a pourtant soutenue. »
Des efforts nationaux similaires à ce qui se passe en Côte d’Ivoire seront entamés ou renforcés courant 2025 au Cameroun, au Ghana, au Costa Rica, en Colombie et en République Dominicaine. Ensemble ces pays fournissent deux bananes sur trois consommées sur le marché français. « Est-ce que les producteurs et les travailleurs de ce secteur pionnier et exemplaire méritent d’être punis pour aller dans le sens de la justice sociale et économique et pour mener des efforts de transition agroécologique à échelle globale? », demande Alistair Smith.
Les investissements sociaux et environnementaux réalisés de manière tangible doivent être reconnus par les acheteurs de la grande distribution. Un espace multi-acteurs des filières françaises de la banane existe. Les autres acteurs de l’Initiative Française pour une Banane Durable les attendent pour en discuter sereinement, accolés à un engagement collectif et individuel de la part des distributeurs.
« Si nous voulons une filière de la banane qui s’inscrit dans la durabilité et qui permet à chaque maillon de la chaîne de valeur d’exister et de continuer exercer pleinement l’activité qui relève de ses compétences et de ses capacités : nous devons accepter de partager la responsabilité. » conclut Smith.
Agir ensemble aujourd’hui pour ne pas périr ensemble demain car, lorsque les producteurs et leurs entreprises disparaîtront, les autres maillons de la chaîne n’auront plus la capacité d’exister. Nous sommes interdépendants et devons accepter la responsabilité partagée.
Photo: Jonathan Cooper (Unsplash)