Le coordinateur international de banana link s’exprime sur le moment charnière que traverse actuellement l’industrie de la banane, fortement concentrée et dépouillée de sa valeur, dans l’histoire de ce commerce vieux de 150 ans. In English here / en español aquí.
<< Nous avons besoin d'un changement de mentalité, d'un changement de paradigme avant qu'il ne soit trop tard. >>
Il ne s’agit pas d’une ONG d’un petit pays consommateur sans impératif commercial qui formule ses aspirations loin de l’attention publique, ou dans une salle à moitié vide ! Non, il s’agit des hauts responsables représentant les deux tiers des producteurs et exportateurs de bananes dessert fraîches du monde, réunis il y a quatre semaines à Madrid à l’occasion du salon « Fruit Attraction » d’octobre 2024, devant un public composé de nombreux autres acteurs clés de l’industrie.
Pour la poignée d’organisations de la société civile qui avaient fait le voyage jusqu’à la capitale espagnole, cet appel uni des principaux pays producteurs du monde reprenait bon nombre des messages qu’une délégation de 20 personnes composée de dirigeants de syndicats indépendants et d’organisations de petits exploitants agricoles du monde entier avait tenté de transmettre il y a deux ans lors de ce même salon. Ce n’est qu’en travaillant et en planifiant ensemble – des ouvriers les moins bien aux multiples actionnaires des enseignes de la grande distribution – qu’une véritable transformation pourra être opérée.
Déjà en 1998 et 2005 à Bruxelles, puis en 2009 à Rome, en 2012 à Guayaquil, en 2017 à Genève et de nouveau en mars de cette année à Rome lors de la quatrième conférence internationale du Forum mondial de la banane (FMB)lancé il y a 15 ans, les avis des organisations de la société civile investies ou intéressées par le sort du commerce international de la banane étaient très clairs : une transformation socio-économique et écologique du secteur était nécessaire et urgente, mais seul un effort collectif pouvait permettre aux producteurs et aux consommateurs de réussir. Bon nombre des points stratégiques et thématiques des syndicats, des petits exploitants agricoles et des organisations de la société civile ont été repris par les principaux acteurs du secteur eux-mêmes.
Qui étaient les principaux << messagers >> ?
Trois panels littéralement fascinants ont été organisés et accueillis conjointement par le Groupe de Travail Latino-Américain sur la Banane et le secrétariat du WBF, basé à la FAO, dans le plus grand lieu de réunion du salon.Nous avons entendu le “Banana Cluster” équatorien d’exportateurs et de producteurs, le ministre équatorien de l’agriculture et important producteur de bananes Daniel Palacios, la Corporation Nationale de la Banane du Costa Rica (CORBANA), les dirigeants des deux organisations de producteurs et d’exportateurs colombiens (AUGURA et ASBAMA), ainsi que leurs homologues africains et caribéens représentant l’ensemble de l’industrie de l’Afrique occidentale et centrale (AFRUIBANA) et de la République dominicaine (ADOBANANO).
Des représentants de Dole Food Company et de Chiquita Brands International, de Fairtrade International e.V., du réseau latino-américain et caribéen des producteurs du commerce équitable (CLAC), ainsi que des normes privées et des initiatives de certification les plus répandues (GlobalGAP et Rainforest Alliance) ont également participé à un ou plusieurs panels.
Quels étaient leurs principaux messages ?
1. Des prix équitables pour que les producteurs et les travailleurs puissent vivre de leur rémunération
Lorsqu’il y a un an, les producteurs africains fournissant les Français ont appris que, pour le contrat 2024, le distributeur le plus largement implanté dans le monde (achetant et revendant sur tous les continents) réduisait de 2 euros le prix d’une boîte de bananes biologiques issues du commerce équitable et de 1 euro celui d’une boîte de fruits conventionnels, ils ont été dégoûtés, voire désespérés. Perdre des parts de marché au profit, d’une part, du leader français de la distribution alimentaire et, d’autre part, des omniprésents discounters allemands, telle était la seule véritable motivation du distributeur mondial pour réduire de plus de 10 % le prix de la boîte payé aux fournisseurs. Peu importe les investissements sociaux et environnementaux réalisés au fil des ans ; peu importe le discours public sur la responsabilité des entreprises !
Le fait est que pour de nombreux distributeurs français et autres distributeurs européens et britanniques, les prix des contrats 2023 ont été jugés trop élevés, notamment du fait que les prix des expéditions et des intrants étaient censés se stabiliser aprèsla crise du Covid.
En octobre de cette année, le leader du marché français proposait trois façons différentes d’acheter les bananes de Côte d’Ivoire (en vrac, par cinq ou emballées dans du plastique) et pratiquait des prix allant de 79 centimes d’euro (une << promotion à court terme >>) à 1,80 euro le kilo… pour les mêmes fruits du MÊME fournisseur. J’en ai assez dit !?
2. Les droits de l’homme et les réglementations environnementales doivent être réciproques et transparents de part et d’autre
Pour les producteurs de bananes du monde entier, le term de la << transparence >> tant utilisé apparaît également comme un appel sans réciprocité, où la répartition de la valeur et des marges en aval de la chaîne (une fois que les fruits ont été chargés Franco à Bord) est loin d’être transparente.
Il en va de même pour la manière dont l’UE est est réputée avoir développé certains aspects de la législation sur les résidus de pesticides, de nouvelles règles de certification biologique… et, une fois de plus, le manque de vigilance à l’égard, par exemple, des droits syndicaux, des salaires et de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail dans les activités des grandes entreprises qui achètent les produits.
En résumé, on peut parler au pire d’une pure hypocrisie de la part des anciens maîtres coloniaux et de leurs acolytes modernes, au mieux d’une sorte d’ignorance béate des réalités pour les producteurs et tous les êtres humains employés au départ et tout au long des chaînes d’approvisionnement des entreprises leaders.
3. La pléthore de normes privées nous a conduits à une <<surcertification>> qui doit cesser
Jetez un coup d’œil aux grappes emballés (ci-dessous) vendues en France, puis prenez connaissance du faitqu’un producteur africain de premier plan – qui a beaucoup investi dans une transition agro-écologique à grande échelle véritablement impressionnante sur ses cinq domaines bananiers – emballe 36 types de boîtes et d’emballages différents par semaine (avec un nombre variable d’autocollants et d’étiquettes selon le client) pour les acheteurs du Royaume-Uni et d’autres pays d’Europe.
Les pays d’Amérique latine, menés par l’Équateur, ont réalisé une étude à la fin de l’année dernière montrant une superposition de 60 pour cent des normes exigées par les acheteurs obligeant les producteurs à se conformer à entre un et quatre des douzaines de systèmes de certification privés différents dans le monde fou de l’exportation et de l’importation de bananes. En a-t-on assez dit? Pas tout à fait,
Rainforest Alliance, qui est montrée du doigt depuis plus d’une décennie par les syndicats indépendants représentant les travailleurs des plantations et des usines de conditionnement d’Amérique latine, des Caraïbes et d’Afrique, doit maintenant << s’adapter ou mourir >>, comme l’a délicatement dit le porte-parole d’une grande multinationale fruitière en mars dernier à la FAO, à Rome ! Les producteurs africains sont prêts à cesser d’utiliser la certification RA dès maintenant, si leurs clients comprenaient pourquoi.
À suivre.
Quels sont les principaux acteurs dans les pays consommateurs qui doivent changer leurs méthodes de travail ?
Avant toute chose, les acheteurs de la grande distribution ne peuvent pas continuer à imaginer que leurs décisions commerciales existent dans le néant de leurs propres logiques commerciales.. Les deux côtés des cerveaux de l’achat et du marketing des entreprises doivent être entièrement intégrés dans les logiques d’une relation transformée et réciproquement équitable avec les personnes avec lesquelles ils travaillent au niveau de la production, employés et employeurs confondus. Cela signifie qu’il faut donner de l’espace et écouter, comprendre les vraies complexités et déterminer comment une tarification équitable peut fonctionner pour tous, y compris avec les entreprises intermédiaires qui chargent, expédient, déchargent, acheminent par camion, mûrissent et camionnent les fruits jusqu’à leurs centres de distribution.
Deuxièmement, en particulier sur les marchés clés où l’évolution vers des engagements publics significatifs et des changements de pratiques a été relativement lente ou faible, comme en Amérique du Nord, en Russie et en France, les citoyens-consommateurs doivent se mobiliser – et être motivés – et plaider en faveur du changement, en même temps que des nouvelles pratiques d’achat et d’un véritable choix éthique.
Troisièmement, les principaux acteurs – entreprises productrices, syndicats et acheteurs – doivent se parler, dans la mesure du possible, sans une multitude d’agences intermédiaires et une diversité déroutante d’initiatives non concertées qui se disputent l’attention de l’acheteur.
L’harmonisation des stratégies entre ceux qui contrôlent les ressources est essentielle et urgente. Sinon, à l’instar des certificateurs privés, il s’agira de << s’adapter ou mourir >>.
En ce qui concerne la formation, l’éducation et le renforcement des capacités entre pairs, les thèmes sont clairs pour les producteurs et les travailleurs organisés : le dialogue social pour soutenir l’émergence d’un nombre croissant d’accords et de cadres nationaux de négociation collective, pour stimuler la capacité d’action et de leadership des femmes à tous les niveaux, pour mettre en pratique la sécurité au travail pour de bon et, enfin et surtout, pour co-construire une transformation agroécologique majeure qui s’éloigne de la monoculture.
Un programme chargé et urgent, mais à notre portée collective, non ?